Ce billet intervient comme une synthèse du stage d’une quinzaine de jours réalisé sur le programme de recherche CinEx, et dans le cadre duquel ma mission consistait à documenter un corpus d’expositions organisées par le Deutsches Filminstitut und Filmmuseum de Francfort-sur-le-Main entre 2000 et 2024. Cela m’a permis d’obtenir une vue sommaire des activités d’exposition de l’institution sur cette période, pour ensuite creuser un peu plus les recherches sur quelques-unes d’entre elles.
- Création du corpus DFF 2000-2024 pour CinEx et vue générale
La création du corpus nécessitait de compléter un tableur de 22 colonnes. Pour ce faire, j’ai procédé du plus récent au plus ancien ; les accrochages antérieurs à 2008 ont fait l’objet d’une identification minimale, étant donné que les informations fondamentales (date, lieu) venaient progressivement à manquer sur le site archivant les expositions du DFF. Le site Internet de la Kinematheksverbund a permis de renseigner certaines données lacunaires, le plus souvent par déduction (https://www.ausstellungen-kinematheksverbund.de/). Ce tableur m’a ensuite permis d’initier une approche quantitative en vue d’affiner ma connaissance du corpus d’expositions et de mieux appréhender sa diversité. J’ai ainsi retravaillé le jeu de données en ajoutant trois colonnes relatives au thème des expositions proposées par le DFF (cinéma/ photographie/ autre), à la nature des pièces (création/ collection) ainsi qu’au médium exposé (divers, photographie, film, affiches, installation, oeuvres graphiques…). Ce choix de catégories devait permettre d’éclairer ma question de recherche, à savoir : étant donné que la base Cinex compile les accrochages de cinéma d’institutions patrimoniales du cinéma, ne semble-t-il pas paradoxal que le DFF cumule autant d’expositions dont la thématique est dite “hors corpus” ?
Sur un recensement de 105 accrochages, la grande majorité a pour thème central le cinéma (84 accrochages), tandis que 7 sont consacrés exclusivement à la photographie. Les 14 autres couvrent des sujets assez divers, du Festival Africa Alive à l’inclusion des minorités. Malgré l’importance évidente du cinéma, un accent particulier est mis sur la photographie et sur le lien entre ces deux disciplines, au travers, notamment, de séries de portraits de célébrités du cinéma réalisées par des photographes allemands de renom (“Augen/blicke. Portraits von Birgit Kleber”, 2019[1] ; “Freddy Langer – Schlafbrillen”, 2017[2] ; “Jim Rakete, Stand der Dinge. 100 Porträts für das Deutsche Filmmuseum”, 2011-2012[3], etc.)
Il est également intéressant de constater que les expositions de cinéma sont pour la plupart constituées d’objets provenant de collections du DFF ou d’autres institutions (75 accrochages), alors que celles dont le sujet n’est ni photographique ni cinématographique réunissent essentiellement des œuvres créées – spontanément ou sur demande – par des professionnels (“Katanga – Schatten der Vergangenheit”, 2009[4]) ou des amateurs (“Klappe, die Zweite ! Kulturelle Bildung an Ganztagsschulen”, 2009[5]), n’appartenant pas (encore) à des collections. Les expositions de photographie quant à elles se répartissent harmonieusement entre création contemporaine et patrimoine.
Autre point important, on remarque que la thématique de l’accrochage (cinéma, photographie, autre) fait presque toujours appel au même médium, c’est-à-dire à la même typologie d’objets exposés. Ainsi les expositions consacrées au cinéma s’appuient le plus souvent sur une documentation variée (affiches, photographies, extraits de films, scénarios, documents de production, lettres…). En comparaison, seules 15 expositions de cinéma sur 84 reposent sur une documentation uniquement photographique ; cette dernière est, logiquement, davantage réservée aux accrochages consacrés à la photographie. Quant aux expositions dites “autres” (ne relevant donc ni du cinéma ni de la photographie), elles peuvent donner à voir des médiums moins caractéristiques de l’institution cinématographique, à savoir des œuvres graphiques sans lien avec le cinéma, comme c’était le cas pour “My Robben Island – Zeichnungen von Nelson Mandela” (2004)[6], présentant une série de dessins de l’ancien chef d’Etat sud-africain. Ce type d’œuvres diffère de dessins de décorateurs et de metteurs en scène, plus fréquents dans un musée de cinéma, car plus en prise avec ses préoccupations ; il n’y a qu’à penser à l’exposition consacrée à l’œuvre graphique d’Eisenstein à la Cinémathèque française, en 1960 (https://eman-archives.org/CinEx/items/show/79).
Cette politique pluridisciplinaire, expérimentale et participative du DFF, que l’on retrouve peut-être plus rarement dans les institutions cinématographiques françaises[7], a par conséquent posé problème lorsqu’il s’agissait de rentrer les accrochages dans la base CinEx, expressément dédiée aux expositions de cinéma. C’est cette zone de flou induite par les pratiques participatives qui a suscité mon attention : il m’a semblé qu’elles pouvaient constituer un ensemble original.
- Focus sur quelques expositions participatives
Les recherches que je mène, dans le cadre de mes études, sur la dimension participative de la création artistique et de sa conservation chez Yoko Ono, et plus largement parmi la nébuleuse Fluxus, ont aiguisé mon intérêt pour ces expositions qui renversent les rôles patrimoniaux, en invitant les visiteurs à devenir à la fois concepteurs d’exposition et prêteurs d’œuvres. J’ai donc renseigné plus précisément les fiches de deux sous-corpus du DFF, à savoir les accrochages participatifs et, dans une moindre mesure, ceux destinés au jeune public.
Appartenant au premier sous-corpus, “Zusammen sammeln. Wie wir uns an Filme erinnern” (2016)[8] occupe une place particulière dans l’histoire du DFF : elle a pour particularité d’être la première exposition pleinement participative de l’institution (si l’on exclut “Klappe, die Zweite !” (2009), conçue dans le cadre d’un programme à l’échelle nationale). Les journées de collecte organisées en amont ont permis de réunir de nombreux objets personnels appartenant aux visiteurs, rendant compte de leur expérience cinématographique préférée. Les objets exposés provenaient donc entièrement du public : l’objectif était de comprendre à quel point le processus de constitution d’une collection, qu’elle appartienne à un cinéphile particulier ou à une archive institutionnelle, est poreux.
Certaines expositions se situaient également à la frontière entre discours sur le cinéma et discours par le cinéma : l’exposition expérimentale “Klappe, die Zweite”, par exemple, donnait à voir 15 courts-métrages de jeunes issus de communes à fort taux d’immigration, réalisés en collaboration avec différents acteurs éducatifs et culturels dans l’objectif d’ouvrir la voie à une école plus inclusive. Porté par la Deutsche Kinder – und Jugendstiftung, l’exposition s’apparentait davantage à un discours social via le film, reflétant la dimension d’éducation par le cinéma du projet initial plus que son volet d’éducation au cinéma (mise en œuvre par l’initiation à la réalisation de films).
Il en est de même pour l’exposition interculturelle “Unser DFF” (2021)[9], rassemblant les productions textuelles, graphiques ainsi que les objets personnels d’élèves et d’habitants de Francfort-sur-le-Main aux origines très diverses, interrogés sur l’insertion sociale et l’accessibilité de l’institut dans la ville. Mis à part l’enquête “Frankfurter Filmschatz” menée auprès des participants, visant à constituer une liste de 100 titres de films considérés comme dignes d’être conservés, le rapport aux collections est absent, au profit d’une réflexion sur la notion de patrimoine dans un contexte transnational. L’orientation de sa programmation inscrit ainsi le DFF dans une démarche plus large de questionnement sur la nature et l’enjeu de son objet.
Levier d’intégration sociale puisque reflet de la diversité culturelle, la conception du patrimoine que promeut le Deutsches Filminstitut und Filmmuseum rappelle à plusieurs égards l’idéal d’inclusion porté par les écomusées : en tant que membres d’un territoire donné, les visiteurs doivent être intégrés non seulement à la programmation du musée mais aussi à la constitution et à la préservation de sa collection[10]. De ce fait, il serait intéressant de replacer le DFF dans le contexte allemand des institutions patrimoniales de cinéma, afin d’être en mesure de confronter sa programmation singulière à celle d’autres institutions lors de futurs travaux.
- Des continuités à interroger ?
Il serait tout aussi important de se questionner sur la continuité qu’il existe entre les accrochages participatifs d’hier et ceux, participatifs ou non, d’aujourd’hui : quels enseignements le DFF en a-t-il tiré, et quelles traces ces expériences passées ont-elles laissées dans la programmation actuelle ? On peut par exemple se demander si l’exposition “Lichtspielplatz” (2023-2024)[11], conçue exclusivement pour les enfants de 3 à 8 ans, n’est pas la résultante (in)directe de l’exposition “Unser DFF” (2021).
Cette consultation créative, dont l’enjeu était de faire évoluer l’institut vers un lieu de vie perçu comme ouvert et accessible, devait modifier à long terme le programme du DFF en y intégrant les résultats du projet. A cette fin, une liste de propositions d’amélioration avait été émise par les participants qui, entre autres, avaient suggéré d’élargir davantage l’offre culturelle au jeune public. Un service de garde d’enfants de 0 à 3 ans avait même été mis en place durant l’exposition, dans l’idée d’aider les parents membres du projet et issus des quartiers défavorisés à se rendre plus librement sur place.
Un concept similaire est mis en œuvre avec “Lichtspielplatz”, véritable microcosme dédié à l’enfance où les adultes sont invités à se tenir en retrait, tandis que les enfants expérimentent en chaussettes de jeu au fil d’une série d’installations. L’accès, interdit aux adultes non accompagnés d’un enfant, est pour le coup entièrement axé sur le jeune public ! Et ce d’une manière même discriminatoire, étant donné que la notion de jeune public, bien que vague, s’étend du nourrisson à l’adolescent[12].
Quoi qu’il en soit, ces premières considérations appellent à une réflexion de fond que la base de données CinEx, en permettant de recouper des données muséographiques nombreuses, pourra à l’avenir faciliter.
[1] https://www.dff.film/ausstellung/augenblicke-portraits-von-birgit-kleber/
[2] https://www.dff.film/ausstellung/freddy-langer-schlafbrillen/
[3] https://www.dff.film/ausstellung/jim-rakete-stand-der-dinge-2011/
[5] https://www.dff.film/ausstellung/kulturelle-bildung-an-ganztagsschulen-klappe-die-zweite/
[6] https://www.dff.film/ausstellung/my-robben-island-zeichnungen-von-nelson-mandela/
[7] Se référer au corpus CinEx de la Cinémathèque française et de la Cinémathèque de Toulouse.
[8] https://eman-archives.org/CinEx/items/show/456
[9] https://eman-archives.org/CinEx/items/show/454
[10] Article 1 de la Charte des écomusées (1981), Fédération des écomusées et des musées de société, https://fems.asso.fr/wp-content/uploads/2020/08/Charte-ecomusees.pdf).
[11] https://eman-archives.org/CinEx/items/show/453
[12] Publictionnaire, Dictionnaire encyclopédique et critique des publics, https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/theatre-jeunes-publics/.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
alicewach (17 juillet 2024). Un regard sur le corpus du Deutsches Filminstitut und Filmmuseum de Francfort-sur-le-Main. APPIA. Consulté le 7 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/1212q